(Solidarité Dalits Belgique, Dec 19 2014)

par Praful Bidwai

A la question “Accepteriez-vous qu’un dalit entre dans votre cuisine ou qu’il utilise vos ustensiles de cuisine?”, 27% des Indiens répondent NON! Telle est une des réponses qui ressort de l’Enquête sur le développement humain en Inde (IHDS-2) dont les premiers résultats sont diffusés dans la presse indienne. Le texte qui suit se base sur un article de Praful Bidwai (*) paru le 15 décembre 2014 dans le Kashmir Times.

Le mythe de la fin imminente de l’intouchabilité a été brisé par l’Enquête sur le développement humain de l’Inde (IHDS-2), menée en 2011-12 par le Conseil national de recherche économique appliquée et l’Université du Maryland, États-Unis. IHDS-2 a couvert plus de 42 000 ménages de différentes classes, groupes sociaux et régions.

L’enquête révèle que l’intouchabilité prospère, 65 ans après que la Constitution l’a abolie. Plus d’un quart des Indiens admettent qu’ils la pratiquent. Ce taux d’admission volontaire est élevé et préoccupant. Comme on pouvait s’y attendre, un pourcentage encore plus grand de brahmanes (52%) a admis la pratique de l’intouchabilité. Et 24 pour cent des autres castes favorisées.

Plus surprenant, une forte proportion (33 pour cent) des autres classes défavorisées, plus basses dans la hiérarchie rituelle que les deux premiers groupes, pratique également l’intouchabilité. Et même les dalits et adivasis, considérés comme encore plus « polluants », ne sont pas exempts de pratiquer l’intouchabilité : respectivement 15 et 22 pour cent avouent qu’ils la pratiquent.

Cela témoigne de la nature omniprésente du système de castes et de son internalisation par ses propres victimes. Une proportion importante des dalits souffre à la fois de la discrimination de castes eux-mêmes et l’inflige à des couches inférieures, comme les Valmikis (éboueurs manuels) ou ceux qui enlèvent la peau des carcasses d’animaux.

Le fait que la caste est profondément ancrée dans la société indienne est corroboré par l’incidence de l’intouchabilité qui se situe à 20 pour cent dans l’Inde urbaine et à 30 pour cent dans les villages. Parmi les brahmanes ruraux, ce pourcentage monte de façon honteuse à 62 pour cent (39 pour cent pour les brahmanes urbains).

Non seulement 30 pour cent de tous les Hindous, mais respectivement 35, 23 et 18 pour cent des Jaïns, Sikhs et Musulmans admettent également de pratiquer l’intouchabilité. Seules les petites minorités comme les bouddhistes, les tribaux et les chrétiens montrent une faible incidence de la pratique.

Les revenus des ménages n’influencent pas beaucoup cette incidence. La différence entre les ménages les plus pauvres et les plus riches qui confessent pratiquer l’intouchabilité est seulement de deux pour cent dans les villages et d’un pour cent dans les zones urbaines.

Quant à l’éducation, elle change quelque peu la pratique de l’intouchabilité : 69 pour cent des ménages brahmanes avec une éducation limitée à la 5e primaire s’y livrent, alors que ce chiffre « tombe » à 45 pour cent des ménages brahmanes ayant au moins un adulte diplômé. Mais même cela est alarmant, car cette valeur équivaut toujours à deux fois l’incidence nationale moyenne de l’intouchabilité.

L’intouchabilité est l’aspect le plus odieux du système de castes, mais approuvée par les rites et les écritures sacrées de l’Hindouisme qui considère les dalits et autres basses castes comme trop pollués pour être admis dans la cuisine, la partie prétendument la plus pure de la maison. Elle est accompagnée par d’autres pratiques humiliantes telles que l’attribution d’assiettes et de verres séparés pour les gens de basse caste, ou l’obligation de laver les plats des hautes castes.

Une étude récente menée par Human Rights Watch met en lumière la façon dont les enfants dalits, adivasis et musulmans sont confrontés à une discrimination systématique au niveau de l’école primaire.

Ils sont obligés à s’asseoir séparément du reste de la classe et forcés d’apporter leurs propres ustensiles pour les repas de midi afin de ne pas « polluer » les plats des autres. , Ils doivent nettoyer les toilettes et sont réprimandés et punis sévèrement. Ainsi, les différences dans les compétences et les performances sont créées artificiellement par la stigmatisation et la ségrégation des enfants qui ont les mêmes capacités au départ. Cela se traduit plus tard par des revenus plus faibles et des chances de vie plus limitées.

Les pratiques discriminatoires persistent dans l’enseignement supérieur jusqu’y compris dans les collèges médicaux et d’autres établissements d’élite, qui séparent souvent les étudiants en fonction des castes.

La société dans son ensemble prive les dalits, les adivasis, les autres basses castes et les musulmans de leurs droits sociaux, y compris un accès équitable aux soins de santé, à l’eau potable et à la nutrition, voire même aux installations municipales comme les systèmes d’égouts, le ramassage des ordures et la distribution de lait.

Le système des castes n’est donc pas seulement injuste et immoral en soi. Il est incompatible avec la dignité humaine, les droits civils et politiques élémentaires, et provoque la destruction cruelle d’un précieux potentiel et des capacités humaines. Il conduit également à la violence périodique pour punir les gens de basse caste qui revendiquent leurs droits.

L’Etat et la société indienne ont échoué dans leur lutte contre la discrimination des castes et pour le renforcement des dalits par des plans spéciaux, dont les fonds sont régulièrement détournés, ou dans leur protection à travers la loi de prévention des atrocités à leur encontre. Le taux de condamnation dans le cadre de la loi susmentionnée est inférieur à quatre pour cent. Les dalits, adivasis et musulmans sont en outre victimes de l’application biaisée du système judiciaire en Inde.

Il faut des remèdes globaux et de l’imagination, y compris une réforme en profondeur du système de l’éducation, la révision des programmes scolaires et des pratiques pédagogiques, et une absence de toute ségrégation des enfants basée sur la caste.

Il ne suffit pas que les manuels scolaires mettent en évidence le rôle d’Ambedkar comme un grand leader des populations opprimées et un des principaux rédacteurs de la Constitution. Il faut également éduquer les enfants au caractère inhumain du système des castes et la persistance de l’oppression des dalits dans l’Inde contemporaine. La ségrégation fondée sur la caste dans les écoles doit être punie par la loi. (*) L’auteur de l’article, Praful Bidwai, est journaliste, chercheur en sciences sociales et militant pour les droits humains, l’environnement, la justice et la paix mondiale. Il collabore avec de nombreux journaux en Inde et au niveau international. En 2000, il a reçu le Prix international de la Paix Sean MacBride, prix attribué par le Bureau international de la Paix (Genève et Londres).

Source : Extraits de l’article de Praful Bidwai, Untouchability Thrives In India, in Kashmir Times, cité par Dalits Media Watch